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Les WC ? En face !

 

MONSIEUR LE DIRECTEUR
DU SERVICE D'HYGIENE
PREFECTURE DE L'YONNE
PLACE DE LA PREFECTURE
89011 AUXERRE CEDEX

 

Monsieur le Directeur,

Je voyage énormément en France et à l'étranger, je suis chauffeur routier de profession. Lors de nos vacances en août, le 9 de cette année, nous nous sommes arrêtés ma femme et moi-même à 8 heures du matin au:

"CAFE TABAC JOURNAUX JEUX BOULANGERIE PATISSERIE"

de la charmante localité de SOUGERES à l'angle des départementales 212 et 73 face au haras.

Après être allé acheter quelques viennoiseries à la boulangerie attenante que l'on atteint par l'intérieur du bar nous avons déjà, assis, commandé deux boissons chaudes: en l'occurrence un petit et un grand café.

Désirant me laver les mains j'ai demandé où se trouvait les toilettes. Il me fut répondu avec un sourire désolé : " Y en a pas. "L'hygiène la plus élémentaire ne pu être appliquée à ce petit déjeuner.

Mon imagination dans ce matin ensoleillé m'a fait revenir aux temps où l'on ne mélangeait pas l'auberge, les jeux, les journaux et les travaux du pétrin.

Voici le cauchemar que j'aurai pu avoir si j'avais décidé d'aller uriner sur le portail du Haras d'en face :

Et que dire si pour l'exemple, j'eus été grand pourfendeur de moustachus demis de bière et qu'après une victoire vacillante, quittant mon destrier de bois aux pattes raides, il m'eût fallu soulager une vessie démesurément chargée de jus de houblon fermenté.

Devrais-je dans ce cas présent mais toujours conditionnel m'abstenir de proférer quelques jurons et, l'oeil hagard, le dos courbé, les mains crispées sur mon système autonome de retenue des eaux usées, d'un pas que le houblon fait hésiter et avec le peu de conscience encore existant au fond du tambour qui me sert de tête choisir la porte salvatrice: celle qui donne sur la voie où passent énormes, bruyantes, véloces, hautes en couleur et quand même transparentes ces chaises à porteur de quatre places chacune sans porteur et à roues faites de la même matière que mes bretelles.

Et pourquoi obstinément malgré tous ces dangers dois-je ainsi que certaines catégories de poules traverser impérativement la route pour assouvir un besoin tout compte fait légitime ?

Après avoir esquivé, feinté, toréé ces monstres carapaçonnés de métal, aux quatre yeux blancs où quelques fois jaunes, comme les miens quand je les découvre au fond de ma chope, ivre d'une douleur noyée dans les profondeurs de mon bas ventre, perdu dans un brouillard où ces yeux lancent des éclairs et se succèdent dans une chevauchée wagnérienne dans un tonnerre d'enfer incessant, un dernier pas sur le chemin de la délivrance vient d'être posé.

Le brouillard s'épaissit devant mes yeux et je suis harcelé par un autre ennemi : le temps. Oui après avoir failli être renversé, bousculé, écrasé, piétiné, l'intégrité du tissu qui ceint mes reins et tombe en forme de fourreaux dans lesquels ce matin même j'ai glissé mes jambes maintenant flageolantes et que l'on nomme pantalon - dont le rôle est de rester d'une teinte unie, d'une propreté ne prêtant pas à plaisanter sur la direction du vent, et de cacher la robinetterie d'un système de distillation personnellement secret et pourtant à moitié universel - ce tissu (cachant pour quelques instants encore ce que les Grecs se sont appliqué à sculpter et l'église à cacher) est en danger.

Car après que le tam-tam qui me sert de coeur se soit ralenti, que le tonnerre qui gronde continuellement dans mon dos se soit légèrement apaisé mes tribulations ne sont point finies pour autant et mon honneur où plutôt ce pantalon encore sec qui le représente est à quelques secondes de sombrer sous un geyser qui bien que non chrétien, par la hauteur et la distance atteintes n'en serait que plus miraculeux.

Mes doigts engourdis d'avoir trop longtemps serré l'anse de ma chope avec peine cherchent les agrafes qui retiennent mes nippes.
Ca y est, je dessine béatement avec mon pinceau des arabesques en vert sombre sur le portail du haras d'en face. Interminable, doucement de mon brouillard qui se transforme en nuage d'été s'égrène une mélopée honnie origine de toute mes épreuves passées:" y en a pas ", " y enn aa paaas ", " yyy ennn aaaaaa paaaaaaas"
.

soudain je realise :

Mon café sur le bois de la table me ramène au vingtième siècle où, dans un

" CAFE BAR RESTAURANT JEUX JOURNAUX BOULANGERIE PATISSERIE "

de notre superbe France il est possible de s'entendre dire à une question toute somme banale, naturelle et mille fois répétée :"
Les toilettes" ?
" Y EN A PAS " !!!

Est-ce possible ? c'est la question que je vous pose .

Je vous prie de recevoir, Monsieur le Directeur, mes sincères salutations estivales.

Bernard POUSSIN,

 

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